Épisode 2 : La droite genevoise entre fragmentation et recomposition
- Charles Beer
- 23 janv. 2023
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 24 janv. 2023
Les élections genevoises auront lieu au cours du mois d’avril prochain. La droite genevoise s’y présentera en ordre dispersé, du moins pour le Grand Conseil et le premier tour du Conseil d’État. La question de ses divisions et hypothétiques alliances s’inscrivent dans un contexte et une logique qui transcendent largement le contexte local : la tentation d’une recomposition entre droite libérale et droite souverainiste.
En échec face à la succession et l’enchevêtrement de crises issus de la mondialisation libérale, la droite traditionnelle perd sa capacité à convaincre qu’elle agit pour le bien commun. Les difficultés et autres revers électoraux se multiplient depuis l’apparition des crises systémiques de la globalisation et notamment les divisons qui en découlent au sein des économies, entre entreprises globales et entreprises locales.
La montée de la droite extrême apparaît notamment comme la conséquence de cette tendance.
Mondialisation et montée de la droite extrême
La droite extrême n’est pas un bloc homogène. Elle possède plusieurs visages selon le territoire et les contextes. Les choix stratégiques et tactiques se déclinent en conséquence. Les thèmes défendus lui permettent toutefois de partager un corpus de valeurs : nationalisme, protectionnisme -hostilité au multilatéralisme et à l’Union européenne (UE)- sécurité, hostilité à l’immigration et au développement du droit des femmes et des LGBTQI+. De plus, partout où elle est en capacité de peser sur l’agenda politique, elle tente de remettre en cause la séparation des pouvoirs, le pouvoir judiciaire en particulier, ainsi que les fondements d’une presse publique et indépendante. En outre, à l’exception notable de la Pologne, elle tente de s’opposer aux sanctions contre la Russie-
En plus d’une décennie, la droite extrême a vu son influence électorale et politique croître dans pratiquement tous les pays, et ce, sous plusieurs formes : elle dirige en Hongrie et en Pologne, démocraties jugées « illibérales » ; elle mène une coalition avec la droite traditionnelle en Italie et soutient le gouvernement de droite en Suède, alors qu’elle représente la principale force de la majorité. Elle représente aussi des alternatives possibles dans plusieurs démocraties, notamment en France.
Dans presque tous les pays, elle parvient par l’augmentation de ses scores à développer son influence sur les partis de la droite conservatrice et libérale. Du parti français Les Républicains au Parti conservateurbritannique, en passant par le Parti républicain américain, elle a généré, en fonction des élections, référendums et certaines aventures personnelles, des leaders compatibles avec ses objectifs : Éric Ciotti en France, Boris Johnson en Grande Bretagne et Donald Trump aux Etats-Unis. Plus frappant encore, ce dernier a entraîné en six ans un repositionnement du Parti républicain.
Morts, déclins et naissances de partis politiques
Elle a su ainsi imposer ses thèmes, son agenda, une culture politique et une forme d’emprise sur une majorité des partis de la droite traditionnelle. Presque partout les tabous tombent. Les alliances électorales entre droite traditionnelle et droite extrême se multiplient, avec des exceptions notables comme celle de l’Allemagne.
Sur fond d’incertitude et d’insécurité des populations, palpables autant au niveau économique que social et climatique, les partis traditionnels tentent de faire face à une montée de l’abstention et du transfert des voix, en misant sur l’identité, une notion-piège par définition. Ils cherchent en conséquence des alliances pour corriger leur image qui colle au libre-échange et pour affirmer une ligne désormais majoritairement souverainiste, destinée à assurer une réconciliation entre les différents types et structures d’entreprises. Au sein de la droite traditionnelle, le libre-échange est devenu la principale source de conflits et de repositionnements.
Mais elle est aussi confrontée simultanément aux revendications de nouveaux droits individuels au niveau sociétal et à la crise climatique. Sa mue engendre aussi conflits, ruptures et l’émergence de pôles centristes.
En France, la dérive et les déchirements des Républicains, la création de la République en Marche, de Renaissance ainsi que la montée du Rassemblement national, en rivalité avec Reconquête, illustrent, comme la crise du Brexit au sein du Parti conservateur en Grande Bretagne, le chemin tortueux de la recomposition des droites européennes nourrie de dérives individuelles.
Particularités helvétiques
Avec ses particularités historique, géographique et institutionnelle, la Suisse vit, de façon décalée, le même type de phénomènes. Les spécificités du système suisse sont les suivantes: les décisions et l’agenda politique sont d’abord réglés par les votations populaires, les cantons sont des états, les frontières et les flux qu’elles engendrent sont la source de tensions permanentes ; depuis des décennies la Suisse importe de façon constante de la main d’ouvre pour faire face à ses besoins. Enfin, l’identité nationale s’exprime prioritairement contre l’Union européenne.
La recomposition politique des droites y remonte déjà à la fin des années septante, avec l’absorption de partis de droite extrêmes déclinants et la prise de contrôle de la section zurichoise de l’Union démocratique du centre (UDC) par Christophe Blocher. Dix ans plus tard, le parti agrairien et centriste s’est mué, avec de très fortes nuances selon les sections cantonales, en un parti de droite extrême, porté par le non à l’Espace économique européen (EEE) de 1992. Dans le sillage des trois initiatives xénophobes des années soixante et septante lancées par des partis de la droite extrême, les initiatives populaires « contre l’immigration de masse », acceptée en 2014 et « pour une immigration modérée » refusée en 2020, illustrent les points essentiels de la nouvelle identité politique. L’UDC s’attaque à l’immigration, à la libre circulation en Europe et en conséquence aux liens entre la Suisse et l’Unions européenne (UE), au multilatéralisme et aux sanctions contre la Russie. Au-delà de la situation propre à chaque canton, aux niveaux local et fédéral, si les coalitions n’existent pas, les partis de droite s’allient néanmoins pour les élections. Ils convergent généralement sur les points économiques et sociaux et se divisent sur ces questions essentielles comme l’immigration, l’UE, les sanctions contre la Russie, voire certains sujets sociétaux.
Ici c’est Genève !
En comparaison, la situation genevoise peut paraître bien particulière. En raison de l’histoire de la République, la vie des partis politiques genevois ne correspond pas exactement à cette mécanique. Sa situation géographique d’enclavement, sa proximité historique, culturelle et économique et les tensions frontalières avec la France l’expliquent.
L’histoire de l’extrême droite y est très particulière. Historiquement le rôle de l’Union nationale et de son leader Géo Oltramare, « collabo » ayant quitté la Suisse pour Rome, Berlin et Paris en 1940, reste un traumatisme dans l’histoire genevoise. Un traumatisme d’autant plus fort qu’en 1936 la naissance de l’Entente entre radicaux, libéraux et démocrates chrétiens est soutenue alors par l’Union nationale.
L’extrême droite disparaît pratiquement de la scène politique genevoise de la fin de la Deuxième Guerre mondiale jusque dans les années soixante, avec la création de Vigilance, dans le sillage de l’Action nationale. Avec 19 députés en 1985, il est le deuxième parti du canton avant de disparaître en 1989. Il faut attendre 2005 pour voir un nouveau parti genevois occuper la place sur l’échiquier politique : le Mouvement des citoyens genevois (MCG). Sociologiquement différent, il y est en concurrence avec l’UDC, crée au début des années 2000 dans le canton de Genève. Au demeurant, son alignement sur les valeurs de la droite extrême ne l’a pas empêché de faire des alliances tactiques avec la gauche sur certains sujets spécifiques comme le vote du budget, en décembre 2022. Son leader conseiller d’État Mauro Poggia, annonce d’une part qu’il ne se représentera probablement pas pour un nouveau mandat et d’autre part une hypothétique candidature pour le Conseil des États. Il est le premier membre d’un parti de droite extrême élu et réélu dans un gouvernement, même s’il convient de nuancer le propos en soulignant son style collégial et son adaptabilité au fonctionnement des autres partis et conseillers d’État.
Le PLR à la recherche d’un nouvel avantage
L’histoire des années trente, bien que constitutive de l’Entente, a empêché jusqu’ici, comme les différents phénomènes susmentionnés, la création d’une alliance des droites. Depuis la naissance du Parti libéral radical (PLR), l’entente à deux partenaires (PLR et Centre) a déjà vacillé. Le PLR a régulièrement cherché à intégrer l’UDC dans l’entente, le Centre s’y étant toujours opposé.
Affaibli par la condamnation judiciaire pour « acceptation d’un avantage » de Pierre Maudet, son exclusion du parti, sa démission, le duel fratricide au 1er tour de l’élection partielle et finalement la perte du siège qui s’en sont suivis, le PLR cherche de nouveaux horizons pour les élections prochaines. Pour ce faire, il choisit de miser sur l’union des droites, du centre à la droite extrême, s’inscrivant dans une réalité à la fois helvétique et européenne. Paradoxalement, pour y parvenir, il choisit de renoncer à l’Entente, en tous les cas au 1er tour, car le Centre n’accepte en aucun cas son élargissement à l’UDC et semble miser davantage sur un rapprochement avec les Verts-libéraux.
Toujours à droite, pas moins de deux partis, à des registres différents, sont proches de l’ancien conseiller d’État, à nouveau candidat, l’un créé en 2022 pour l’élection partielle Élan radical, qui présente son propre candidat, et l’autre Libertés et Justice sociale, mouvement fraîchement créé pour les élections de 2023 et le soutenir. Qu’en est-il des positionnements de ces partis sur l’échiquier politique ? Ensemble, ils misent sur les artisans et les PME, ainsi que sur une tradition radicale. Mais quoi d’autre encore ? Si le premier regrette la disparition du Parti radical dans la fusion et la création du PLR, le second est né de la volonté de l’ancien magistrat de créer un mouvement de citoyens aux contours politiques insaisissables, car les partis seraient selon lui dépassés.
Mouvement et mouvement
La naissance de ce mouvement, qui affirme s’adresser aux citoyennes et citoyens de tous bords, ouvre-t-il des perspectives de lien avec l’autre mouvement de citoyens, celui qui s‘affiche « ni de gauche ni de droite » ? Rien au niveau des leaders des deux mouvements, Pierre Maudet et Mauro Poggia, ne semble en tous les cas classer la question au registre des incongruités.
Comme évoqué précédemment, le MCG et l’UDC occupent un même positionnement, bien qu’ils développent depuis plus de quinze ans une rivalité virulente.
Avec la fin de l’Entente (Le Centre PLR) et l’absence d’union de droite extrême (UDC et MCG), trois pôles semblent s’esquisser : le centre droit (Le Centre et Verts libéraux), la droite (PLR et UDC) et la droite « populiste » affirmant l’obsolescence ses clivages gauche/ droite (MCG, Libertés et justice sociale et Élan radical). Mais, en l’absence d’alliances formelles, tout demeure incertain.
La liste d’un autre ancien conseiller d’État, Luc Barthassat à nouveau candidat, ayant quitté déjà deux partis pour créer Civis, ne fait qu’ajouter à la fragmentation et au risque de confusion.
Huit partis pour une refondation ?
Respectivement, le quorum à 7% pour les élections au Grand Conseil et le premier tour des élections pour le Conseil d’État devraient assurer une clarification des forces en présence, leur compatibilité et leur capacité d’alliance pour le second tour des élections au Conseil d’État. L’élection en deux tours, comme le nouveau bulletin de vote issu de la Constitution de 2012, ne mentionnant que les noms des candidats et leur parti, pourraient être, par la personnalisation engendrée, les facilitateurs d’une clarification de fait des rapports de force à droite à l’issue du second tour.
Si, jamais la droite n’a jamais semblé aussi divisée pour les élections du Parlement et le premier tour du Conseil d’État, paradoxalement les alliances pourraient ainsi devenir la base d’une recomposition d’urgence à droite pour le second tour et les élections fédérales de l’automne, posant ainsi les jalons d’une alliance des partis de droite qui s’affirme sur les échiquiers électoraux de tant de pays.
La seule désignation par tous de la gauche comme adversaire unique permet tous les scénarios en coulisse.
Charles BEER
Ce qu'on appelle la droite devrait s'orienter vers des objectifs communs et faire taire ses égos, pour s'opposer efficacement à une gauche en perte de crédibilité. Malheureusement elle ne semble pas se diriger dans cette direction et le résultat des urnes risque d'être sanglant en lui démontrant son erreur. Il est à rappeler ce qu'un président français disait et qui est toujours vrai : la gauche n'a pas le monopole du cœur.